On l’a un peu oublié mais le titre original de Game of thrones est en vérité A song of ice and fire, A game of thrones étant le titre du premier roman, qui fut repris ensuite pour être celui de l’ensemble de la série télévisée. Il y a donc deux titres pour une seule œuvre, qui suggèrent deux histoires et deux fins différentes.
Cet article été écrit en décembre 2018 sur mon blog, avant la diffusion de la saison 8. Les idées principales restent valables mais les spéculations sur la fin ne sont pas exactes, sans être fausses non plus, a vous d’en juger avant une éventuelle mise a jour.
Alors que la fin de la série approche, elle sera diffusée à partir d’avril 2019, le tout premier teaser de la saison 8 s’appelle for the throne. Il laisse imaginer, plus que jamais, que les âpres luttes pour le pouvoir qui ont fait la marque de cette saga violente et sombre, ponctuées de trahisons commises par des hommes et des femmes sans scrupules ni tabous, continueront en rebondissements jusqu’à la fin. Avec cette question qui a été le moteur de la série jusqu’à présent: qui va mourir, qui en sortira vainqueur?
Mais « le jeu des trônes » se joue en été, et celui qui vient de passer est le plus long de mémoire d’hommes dans les sept royaumes. Puis l’hiver est arrivé et avec lui, la longue nuit et les marcheurs blancs. Avec l’hiver, c’est une autre narration qui se met en place.
Ainsi A song of Ice and Fire, elle, est une « chanson », un vaste récit mythologique ponctué d’exploits héroïques, de cataclysmes et de prophéties qui trouvent leurs origines à la naissance du monde fictionnel de Georges R.R. Martin. Cette épopée culmine dans un affrontement primordial surgi du plus profond passé et qui doit se conclure au terme des 6 épisodes de la saison 8. Le second teaser, Dragonstone , qui figure le continent de Westeros submergé de feu et de glace, va tout à fait dans ce sens.
C’est dans la mythologie comparée, et en particulier dans le travail de Georges Dumézil, sur les fonctions triparties des mythologies indo-européennes que j’ai trouvé quelques clés pour comprendre les règles du « jeu » et celles de la « chanson », et aussi ranger les nombreux personnages de l’histoire. En effet, l’adaptation télévisée du Trône de Fer se prête bien à ce genre d’approche qui permet de mettre en évidence certains rouages narratifs, et leur logique sous-jacente, en particulier la question de la souveraineté et de la légitimité d’un personnage à être roi.
Le monde antique puis médiéval était empreint d’une vision tripartie, où les dieux allaient par trois, et de là découlait une vision et une façon d’ordonner la société humaine qui se voulait à l’image de celle des dieux. Ainsi les hommes pensaient que l’harmonie cosmique était respectée. Cette organisation fait écho aux structures symboliques de l’esprit humain, à la façon dont on raconte les histoires et à celle dont on se représente le monde, du moins dans le champ culturel des indo-européens. C’est cette idée d’ordre naturel des choses, profondément inscrite en nous qui fait que l’ont n’a pas été surpris de la mort d’un personnage ou de la résurrection d’un autre, en la trouvant logique mais sans savoir pourquoi au juste.
D’après le modèle trinitaire (ex: la trinité chrétienne, la trinité hindoue), la société est organisée selon un système en trois fonctions hiérarchisées : le roi et le prêtre gouvernent et légifèrent, le guerrier sert son seigneur et fait la guerre, le marchand et le paysan produisent des biens pour la communauté. Cet ordre ancien se retrouve jusque dans l’organisation de la France au XVIII ème siècle, par les trois états : le clergé, la noblesse et le tiers état. Un exemple tiré de Game of thrones est l’organisation de la garde de nuit en trois classes: les stewarts, qui commandent et gèrent l’intendance, les rangers qui combattent, et les builders qui entretiennent le mur. Et j’ai été surpris de découvrir à quel point le monde de Georges R.R. Martin se prête bien à une lecture sous cet angle. L’auteur fait d’ailleurs explicitement une double référence aux Arya, les « nobles pères » indo-européens dans les noms des deux grandes dynasties royales : Arya Stark et dans le nom Targ-aryen.
Ces allusions ne sont pas fortuites et elles témoignent que pour construire un monde aussi vaste et riche, l’auteur s’est appuyé sur la mythologie comparée. Mais je ne vais pas me lancer ici dans une analyse trop vaste et rester à l’essentiel; la grande histoire et les trois personnages principaux que sont Daenerys, Jon et Tyrion. Ce n’est pas une grande découverte mais cela permet de donner du sens à cette histoire et une place aux nombreux personnages puis de spéculer un peu sur la conclusion prochaine de la série en fin de billet.
La souveraineté magico-religieuse
La première fonction est celle du sacré et du pouvoir, elle constitue le lien entre le monde terrestre et les puissances surnaturelles. C’est le domaine des rois et des prêtres, qui sont intermédiaires entre les hommes et les dieux, ils gouvernent et ordonnent la société.
A l’époque dépeinte dans la série, il n’y a que deux dynasties royales ayant accès à cette souveraineté supérieure ; ce sont les Stark et les Targaryen. Les Stark descendent des premiers hommes venus à Westeros, ils sont apparus à l’époque de la première longue nuit, ont participé à la création de la garde de nuit et à la construction du mur, puis ont régné durant des millénaires sur le Nord. Les Targaryen viennent de l’ancien empire de Valyria qui a régné à Essos, et ont uni par la force de leurs dragons les Sept royaumes. La souveraineté magico-religieuse est aussi une souveraineté juridique légitime : les rois doivent dire la loi et l’appliquer, selon un idéal moral de sagesse et de justice, pour être de bons rois.
« and any man who must say « i am a king » is not true king » Tywin Lannister
(tout homme devant dire « je suis un roi », n’est pas un vrai roi)
Car l’on ne se proclame pas roi mais l’on est proclamé, et reconnu comme tel par ses sujets. La maison Lannister, sans rivale en puissance et prospérité, connait bien le problème de la légitimité puisque c’est la seule chose qu’elle ne peut obtenir ni par la force, ni par l’argent. Ainsi Tyrion, la main du roi, après avoir giflé son royal neveu Joffrey qui hurlait « je suis le roi ! », lui fait constater que sa main n’est pas tombée de son bras, et qu’il n’a transgressé aucune règle sacrée en giflant le roi car Joffrey n’est qu’un homme ordinaire. Il l’humilie encore en lui disant que Westeros a connu des rois stupides, ou des rois vicieux, mais jamais les deux à la fois. En fait Joffrey est doublement illégitime, il n’est pas le fils du roi dont il porte le nom, et celui-ci est mort a la suite d’un complot ourdi par sa mère.
Après les rois, les membres du clergé, prêtres et prêtresses, sont les autres représentants de la première fonction. Leurs messages surnaturels sont souvent transmis au travers de visions oniriques, ou de prophéties formulées par des prêtresses ou des sorcières. Melissandre et Thoros de Myr sont attachés au dieu du feu et de la lumière R’hlor dont ils reçoivent des visions dans les flammes et qui leur donne un pouvoir de résurrection. La corneille à trois yeux s’apparente aux anciens dieux, le grand moineau et les septas aux Sept, Jaqen H’ghar au dieu aux multiples visages. Il y a encore de nombreux dieux dans l’histoire comme le dieu noyé des îles de fer, et ceux d’Essos. La façon dont ils sont rangés en panthéons n’est pas abordée dans la série, cependant le retour de la longue nuit renforce la présence de R’hlor et de ses croyants, qui pensent qu’il existe un dieu des ténèbres et du froid, le Grand autre dont les marcheurs blancs seraient les serviteurs. Le combat cosmologique du feu et de la glace serait donc le leur, transposé dans le monde une seconde fois après la première longue nuit qui a eu lieu 8000 ans auparavant. Ce dieu de glace n’est pas une entité divine strictement maléfique, mais plutot un dieu de la mort, opposé en tous points à R’hlor qui lui n’est pas vraiment un dieu bénéfique. Ce concept dualiste rappelle vaguement l’ancienne religion mazdéenne, tandis la question de la moralité des personnages, y compris des plus croyants, repose entièrement sur leurs actions et leur conscience.
Daenerys Targaryen est liée à l’ancien empire de Valyria, et au dieu R’lohr, elle est la fille du dernier roi de la dynastie Targaryen Aérys II le fol (dit the « mad king« ) et commande à trois dragons qu’elle élève comme ses enfants. Un pouvoir héréditaire de sa famille la rend immunisée au feu et à la chaleur. Devant un tel prestige, ses liens avec l’ordre surnaturel et sa royauté ne font guère de doute. Ses nombreux titres le rappellent
« Daenerys du typhon de la Maison Targaryen, première du nom, Reine des Andals et des Premiers Hommes, Suzeraine des Sept Couronnes et Protectrice du Royaume. Khaleesi de la Grande Mer Herbeuse, Mère des Dragons, briseuse de chaînes, L’Imbrûlée, Mhysa et Reine de Meereen «
Daenerys n’est pas une femme avide de pouvoir, mais de par son nom et son éducation, elle n’a simplement jamais eu d’autres choix que d’être une reine. Pourtant, elle est devenue une véritable reine non pas le jour où elle s’est mariée au khal Drogo mais quand elle est sortie des flammes du bûcher funéraire de son époux, intacte et imbrûlée. C’est cette mort symbolique suivie d’une renaissance comme mère de trois jeunes dragons, qui fait se prosterner les témoins. Elle n’est pas proclamée reine par les Dothraki présents qui n’ont pas ce pouvoir, mais qui constatent le miracle de sa royauté, comme une évidence, en s’inclinant devant elle. Bien plus tard, dans la capitale dothraki, face à l’assemblée de khals, elle affirme qu’ils sont de petits rois, inaptes à conduire leur peuple contrairement à elle, puis provoque un incendie qui va les brûler vifs. Ensuite elle renouvelle l’événement de surgir du feu devant l’ensemble du peuple Dothraki qui s’incline en ployant le genou. C’est une démonstration évidente de souveraineté supérieure.
Comme reine, ses décisions politiques sont radicales, elle renverse l’ordre traditionnel partout où elle passe et crée un nouvel ordre plus moral en énonçant la loi : les cités esclavagistes doivent affranchir tous les esclaves, les Dothraki ne réduiront plus les vaincus en esclavage et les fers-nés (iron-born) ne pilleront plus. Ainsi les plus orgueilleux nomades sur terre et sur mers acceptent de se soumettre à sa loi, quand aux maîtres de la baie des esclaves, ils lui font une longue guerre qu’ils finissent par perdre. Pour Westeros, Daenerys annonce à Tyrion son intention de « briser la roue » qui fait tourner le pouvoir d’une grande famille à une autre et perpétue la violence. Elle se place au dessus des familles nobles, en impératrice qui va garantir la paix, de force si nécessaire.
Le véritable roi ou reine est donc avant tout un législateur, qui devant son peuple assemblé, va dire la loi et exercer la justice, parfois lui-même.
D’abord connu comme fils illégitime d’Eddard Stark, Jon Snow ne peut porter le nom de son père et reçoit le nom générique du Nord donné aux bâtards, Snow. Si son parcours n’est pas moins prestigieux que celui de Daenerys, au départ il ne désire pas le pouvoir et n’a pas d’autre ambition que d’être un guerrier honorable, ce qui lui semble être une place appropriée pour un simple bâtard. De même, il accorde beaucoup d’importance aux traditions du Nord, des Stark et de la garde de nuit.
Il rejoint la garde de nuit comme engagé volontaire, et c’est devant un barral, les arbres sacrés honorés dans le culte des anciens dieux, qu’il prononce les vœux qui font de lui un des frères juré de la garde de nuit :
« La nuit se regroupe, et voici que débute ma garde. Jusqu’à ma mort, je la monterai. Je ne prendrai femme, ne tiendrai terre, n’engendrerai. Je ne porterai de couronne, n’acquerrai de gloire. Je vivrai et mourrai à mon poste. Je suis l’épée dans les ténèbres. Je suis le veilleur aux remparts. Je suis le feu qui flambe contre le froid, la lumière qui rallume l’aube, le cor qui secoue les dormeurs, le bouclier protecteur des royaumes humains. Je voue mon existence et mon honneur à la Garde de Nuit, je les lui voue pour cette nuit-ci comme pour toutes les nuits à venir. »
Ces vœux rangent les frères de la garde de nuit dans la seconde fonction (« Je suis l’épée dans les ténèbres », « le bouclier protecteur des royaumes humains »), et exclut strictement les deux autres (« ne tiendrai terre », « Je ne porterai de couronne »).
Jeor Mormon, le Lord commandant de la garde de nuit choisit Jon comme second, pour qu’il lui succède un jour. Ce qui arrive lorsqu’il est élu Lord commandant après le décès du premier. Ayant pris conscience du danger absolu des marcheurs blancs, il reçoit le soutien d’un personnage hautement sage et royal, Mestre Aemon Targaaryen (son arrière grand-oncle) : il lui conseille d’assumer ses responsabilités, quitte à prendre des décisions difficiles, et d’agir en adulte et en chef, comme un véritable roi.
Dés lors Jon fait des choix contestés mais nécessaires devant le péril qui grandit au nord du mur ; il négocie une trêve avec les sauvageons (les free-folks ou wildlings) et les fait passer au sud du mur en échange de leur aide, tandis que ceux qui restent périssent atrocement à Durlieu (Hardhome) et vont grossir les rangs de l’armée des morts. De retour au mur, il est assassiné par des frères conjurés qui refusent son alliance avec les freefolks. Et alors qu’il se vide de son sang, sa dernière pensée va à son loup Fantôme. Et miracle, il est ressuscité par la prêtresse Mélissandre qui voit en lui un héros prophétique. Ses frères de la garde et les sauvageons voient en lui un demi-dieu, mais reconnaissent qu’il s’agit bien de Jon. Il exécute lui-même la sentence de mort des conjurés (la loi est dure, c’est la loi), puis quitte la garde de nuit puisqu’il a été délivré de son vœu par la mort, d’où l’importance des mots dans un serment ! Enfin, il reprend Winterfell à Ramsay Bolton et est proclamé roi dans le Nord (king in the north) par l’assemblée des vassaux des Stark, avec le surnom de loup blanc.
Ce faisant, il ignore encore ses origines qui ont été révélées par les visions de Bran et les recherches de Samwel Tarly ; son père était le prince héritier Rhaegar Targaryen (le frère aîné de Daenerys, qui est donc sa tante) et sa mère Lyanna Stark, sœur d’Eddard Stark (qui est donc son oncle et non son père). Ses parents se sont mariés en secret, mais légalement, ce qui fait que le véritable nom de Jon est Aegon Targaryen et qu’il est le prince héritier direct de la dynastie royale, devant Daenerys. Il porte d’ailleurs le prénom de son ancètre fondateur de la dynastie. Ainsi Jon Snow est issu des deux grandes familles royales et sa résurrection (acte surnaturel s’il en est) vient confirmer son importance aux yeux des dieux.
Comme Daenerys, Jon est un législateur qui bouscule les traditions. Il emploie toutes ses forces à préparer le Nord contre le choc qu’il a vu venir, bien que chacune de ses décisions soit contestée par ses vassaux ou sa famille : la paix avec les free-folks et leur passage au sud du mur, son pardon aux maisons nobles qui ont rejoint les Bolton, son ordre d’entraîner tous les habitants au maniement des armes, y compris les femmes et les jeunes filles, et l’alliance avec Daenerys contre les marcheurs blancs.
Devant Cersei et Daenerys réunies en concile, Jon dit qu’il « n’y a plus qu’une seule guerre qui compte, la grande guerre » (des vivants contre les morts). Une autre façon de dire que le jeu des trônes est fini et que le temps du feu et de la glace est revenu.
Bran assiste au mariage des parents de Jon, dans une de ses visions.
Bran Stark, est lié aux anciens dieux, et au culte des arbres sacrés, les barrals. En cela il perpétue la tradition du Nord et de sa famille qui se confondent tant les Stark et le Nord sont synonymes l’un de l’autre. C’est son ancêtre éponyme, Brandon Stark, dit le bâtisseur, qui a construit le mur pour arrêter les marcheurs blancs.
Enfant, Bran vit un accident tragique : poussé volontairement par Jamie Lannister, il tombe d’une tour et perd l’usage de ses jambes. Entre la vie et la mort durant des semaines, il rêve que son esprit habite son loup apprivoisé, été. Lorsqu’il se réveille, il comprend qu’il a le pouvoir de se projeter dans le corps de certains animaux. C’est un pouvoir connu dans le Nord sous le nom de warg, un changeur de peau. Ensuite, il entreprend un long voyage jusqu’à la corneille à trois yeux, qui l’initie au pouvoir de vert-voyant, afin d’en faire son remplaçant, Bran apprend à se projeter à travers les barralsdans le temps et dans l’espace.
Brynden Rivers, l’ancienne corneille aux trois yeux, et son élève Bran.
Au départ je le voyais comme la figure du magicien, du druide ou du prêtre-roi, qu’on peut comparer à des personnages comme Merlin ou Gandalf. Mais ce n’est pas vraiment le cas, sa grande originalité est qu’il a vécu une longue initiation, peut-être incomplète ou faillie, avant de devenir la corneille aux trois yeux. En effet, les voyages dans le temps non maîtrisés altèrent gravement la réalité et l’écoulement du temps et peuvent briser les esprits humains, comme le pauvre Hodor. Son initiation est interrompue brutalement lorsqu’il commet l’erreur de se rendre en vision auprès du roi de la nuit, qui lui imprime sa marque, ce qui brise le sortilège qui interdisait la caverne de la corneille aux trois yeux aux marcheurs blancs. Son maître, les derniers enfants de la forêtet Hodor périssent alors pour couvrir sa fuite.
D’après le roman, les pouvoirs de Bran sont vertigineux, ce qui explique son état hébété dans la saison 7, il est écrasé par ses pouvoirs inhumains et par le danger immense qu’il voit venir. Il est si impliqué dans ses visions distantes qu’il en a perdu la plus grande part de sa personnalité, et de sa présence parmi les vivants. Sans guide spirituel et livré à lui-même, Bran pourrait commettre d’autres erreurs tragiques. Son rôle sera d’observer et de contrer les marcheurs blancs avec ses pouvoirs surnaturels. On peut supposer qu’il va affronter le roi de la nuit à travers le dragon Drogon, qu’il peut contrôler avec son pouvoir de warg.
Le roi de la nuit à Durlieu (Hardhome)
Enfin, le dernier représentant de la première fonction est le roi de la nuit (night-king), le premier des marcheurs blancs. De lui on sait seulement qu’il fut créé au cours d’un rituel magique par les enfants de la forêt ; un homme eut le cœur transpercé d’une dague de verre-dragon (dragonglass) et devint le premier marcheur blanc avant d’être connu sous le titre de roi de la nuit. Cette époque est aussi celle de la première longue nuit. Il devait combattre les premiers hommes qui faisaient la guerre aux enfants de la forêt 8000 ans plus tôt, mais il aurait pris son propre parti. La première longue nuit se serait terminée par la victoire d’un héros solitaire qui abattit les marcheurs blancs d’une lance d’acier-dragon. Ensuite le mur et la garde de nuit furent créés afin d’empêcher leur retour.
Roi-sorcier, il pratique la nécromancie et commande à un petit groupe de ses semblables qui sont à l’origine de jeunes enfants mâles, et surtout à une immense armée de morts vivants qui semblent n’être plus que des corps vides soumis à sa volonté. Il a abattu d’une lance de glace l’un des dragons de Daenerys (Viserion) et en a fait sa monture. Avec le souffle de glace de son dragon mort-vivant, il fait s’écrouler le mur dans la dernière scène de la saison 7.
Il est la figure de la mort (plus que celle du mal), le principal opposant de l’histoire, son retour est annoncé dès le premier chapitre du roman. On ne connait pas vraiment ses intentions, sinon qu’elles semblent hostiles à toute forme de vie et qu’il semble vouloir refaçonner le monde à son image. J’aurais l’hypothèse qu’il est piégé sans véritable but dans son existence surnaturelle, qui s’apparente à une damnation éternelle. Une révélation, tout au moins une explication, interviendra sans doute en cours de la saison 8 sur ses origines et ses motivations. Le roi de la nuit semble lié en rivalité à Bran, et leurs magies qui, bien que profondément différentes par nature, ont en commun le contrôle des corps à distance.
On peut remarquer que ces quatre personnages « royaux » ont tous, d’une façon ou d’une autre, traversé la mort et en sont revenus transformés. Ce sont eux, par leurs paroles ou leurs actes, qui vont décider du sort des sept royaumes.
La force et la guerre
La seconde fonction se rapporte à la force physique, la guerre et la destruction, c’est une activité fortement masculine. Toutes les grandes maisons de Westeros prétendantes au pouvoir (Lannister, Baratheon, Tyrell, Greyjoy) sont des noblesses d’épées aptes à faire la guerre mais pas à être de véritables rois. Celles-ci sont souvent prétextes aux massacres et pillages, ou alors ils ne savent que faire du pouvoir une fois qu’il l’ont pris pour eux, tel Robert Barathéon. Tout au plus peuvent-ils s’asseoir sur letrône de fer comme n’importe qui sur une chaise. Mais comme le pouvoir réside aussi dans l’illusion de puissance qu’il projette (« It is a trick, a shadow on a wall » dit Varys), la crainte et le respect restent associés au pouvoir longtemps après qu’il a cessé d’être l’émanation d’une puissance supérieure.
Parmi les vivants ; Arya Stark, Jamie Lannister, Euron, Théon et Asha Greyjoy, Jorah Mormont, Daario Naharis, Ver Gris, Thormund, Bronn, Brienne de Tarth, les frères Clegane, tous de grands guerriers. Bron est d’ailleurs anobli pour ses qualités de combattant, il en vient à regretter d’être payé d’honneur et non d’or comme avant.
On trouve aussi dans cette caste de guerriers une longue liste de personnages, bons ou mauvais, tous décédés de mort violente : Robert « l’usurpateur » Barathéon, Renly, Stannis, Joffrey, Tommen, Tywin, Kevan et Lancel Lannister, Khal drogo, Loras et Mace Tyrell, Oberin Martell et toute sa famille, ses filles naturelles les aspics des sables, Balon Greyjoy, Jeor Mormon, Meryn Trant, Mance Raider, Jon Arryn, Brynden « blackfish » Tully, Alliser Thorn, Janos Slynt, Roose et Ramsay Bolton, Rickard Karstark, les Umber père et fils, Barristan Selmy, les Frey, Randal et Dickon Tarly, bref la plus grande partie de la noblesse et j’en oublie. Tous ces personnages « consommables » mais néanmoins flamboyants pour certains ont bien servi l’intrigue.
Les plus vils connaissent une fin tragique particulière, inscrite dans des schémas mythologiques. Ainsi peut-on lire la chute de la maison Bolton comme un exemple des trois fautes symboliques qui outragent les dieux : la trahison initiale du père Bolton (le régicide de Rob Stark), puis le meurtre du père par le fils (le paricide), et enfin le meurtre horrible de son jeune frère (le fratricide) et de sa belle-mère qui sont dévorés par les chiens de Ramsay. Bien qu’on puisse trouver d’autres fautes symboliques tant la liste de ses crimes est longue, Ramsay a franchi toutes les étapes qui conduisent à l’infamie, et son juste châtiment procède d’une justice divine, dont Jon et Sansa sont les instruments vengeurs. Il périt de la façon ignoble qu’il imposait à ses victimes, à la plus grande satisfaction du public.
Bronn et Tyrion, le soldat et le diplomate.
Enfin, Tyrion Lannister est le personnage central de toute la série, le cœur de celle-ci, car il connait tous les personnages de l’intrigue. Avec Jon et Daenerys, qu’il a contribué à rapprocher comme alliés, ils forment la trinité sur laquelle s’appuie l’histoire (ce qui ne veut pas dire que tout va bien se passer entre eux). Tyrion est un diplomate, stratège et administrateur de talent, et comme l’ont remarqué Varys et Daenerys, il est le plus brillant politicien de son temps de Essos à Westeros. Il n’a pas d’ambition personnelle et s’est mis au service de sa famille, du moins jusqu’à ce que celle ci lui fasse un faux procès et le condamne pour l’assassinat de Joffrey dont il est innocent. Dés lors, après un passage à vide très alcoolisé (sa version personnelle du voyage souterrain du héros?), il cherche une cause noble à servir et il la trouve en la personne de Daenerys. La seule personne qui rivalise en intelligence avec lui est sa sœur Cersei. De fait, Tyrion et Cersei sont les deux héritiers spirituels de leur père Tywin, qui a exercé le pouvoir dans l’ombre durant des décennies et ambitionnait de fonder une dynastie égale aux plus grands. Ils ont chacun retenu une version différente de l’enseignement de leur père; Tyrion pour le meilleur (le pouvoir comme responsabilité), et Cersei pour le pire (le pouvoir comme fin en soi).
Mais qui va gagner le jeu des trônes?
En fait, le jeu des trônes est terminé car Cersei a gagné, faute de joueurs. Par une combinaison de patience, de ruse, de manipulation et de violence aveugle, elle a éliminé tous ses adversaires immédiats et une bonne partie de la noblesse des sept royaumes en faisant exploser le septuaire de Baélor. En reine machiavélique, elle a lavé dans le sang les affronts qui lui furent faits et paralysé les deux derniers adversaires que sont Jon et Daenerys en acceptant une trêve qu’elle ne compte pas respecter.
Pourtant, son pouvoir est illégitime et n’est fondé que sur la terreur qu’elle inspire et la violence qu’elle emploie, ce n’est rien d’autre qu’une tyrannie établie au prix de la destruction de sa famille, et la perte de tous ceux qui lui étaient chers. De fait, ses titres de « Suzeraine des Sept Couronnes et Protectrice du Royaume » sont vides de sens, personne ne la reconnait comme telle de bonne foi. En ce sens, elle a échoué à réaliser l’ambition de son père Tywin qui lui, voulait fonder une dynastie égale aux Targaryen. Tout au bout de sa folie, Cersei perdra aussi le pouvoir, la dernière chose qui lui appartient, car le jeu des trônes est enchâssé dans un jeu plus grand qui dépasse sa seule intelligence et sa détermination. Elle aussi a outragé les dieux et connaîtra un châtiment prophétisé lors de son enfance, bien qu’elle n’eût de cesse de vouloir y échapper. Les prédictions de Maggy la grenouille seront réalisées les unes après les autres.
Alors qui va occuper le trône de fer?
Je suis tenté de répondre, au terme des événements, probablement personne. Jon (Aegon Targaryen) est l’héritier légitime du trône de fer, mais il a moins le goût du pouvoir que celui du devoir, un vieux défaut des Stark. Vivra-t-il jusqu’au printemps ou ne sera-t-il qu’un roi de l’hiver? Sera-t-il faiseur de roi en transmettant la légitimité à quelqu’un?
Dans la vision de Daenerys durant la saison 2, la salle du trône de fer a brûlé, le toit a disparu, neige et cendres tombent confondues dans un silence sinistre. Après la longue nuit, le trône de fer, ultime symbole d’un conquérant mort 300 ans plus tôt ne sera plus qu’un morceau de métal rouillé dans un palais en ruine. Au terme de la saison 7, les sept royaumes de Westeros sont déjà profondément meurtris par les guerres, la moitié des grandes maisons nobles a disparu, le mur est écroulé, les enfants de la forêt et les géants sont éteints. L’idée des sept royaumes unis semble s’effacer pour laisser la place à un nouvel âge, où tout devra être refondé.
Ensuite il y a deux hypothèses : ou le cycle mythologique du feu et de la glace n’est pas résolu, il continue et l’affrontement recommencera dans un futur lointain, ou il se termine pour de bon. J’inclinerais plutôt vers la fin d’une époque et la fin de cette histoire serait l’épilogue des dragons et des marcheurs blancs qui se seraient annihilés mutuellement. Comme chez Tolkien à la fin du Seigneur des Anneaux, le monde vit un changement d’âge qui conduit en glissement progressif vers la fin du merveilleux, de l’histoire vécue à la légende, de la légende au mythe. La vie ordinaire reprend son cours, les héros retournent chez eux.
A cet égard, je pense que les survivants de la troisième fonction, qui est aussi celle de la fertilité et du renouveau, Tyrion, peut-être avec Sansa (vont-ils sauver leur mariage?), Samwel et Gilly, seront les bâtisseurs du printemps. Quant aux autres, les héros et nobles guerriers, il est bien possible que la plupart d’entre eux ne survivent pas aux grandes batailles qui s’annoncent, et s’ils le font, ils devront revenir à des vies moins trépidantes!
Quoi qu’il en soit, le « jeu des trônes » aura été un excellent prétexte à raconter de grands récits initiatiques qui portent les personnages principaux de l’enfance à l’âge adulte ; Jon, Daenerys, Sansa, Arya, Bran, des personnages qui arrivés à maturité vont à la rencontre de leur destin. Les autres personnages nous racontent des récits de damnation ; Circei, Ramsay Bolton, Littlefinger, ou de rédemption ; Tyrion le paricide et Jamie le régicide, Jorah Mormont, Sandor Clegane, Théon Greyjoy. L’ensemble compose une imposante saga chorale qui revisite les grands mythes, la culture classique occidentale et la littérature fantastique, ce qui la rend à la fois familière et accessible et donc populaire.
Note : Je me base sur la série TV jusqu’à la saison 7 incluse, sans entrer en profondeur dans le monde de G.R.R. Martin, n’ayant lu que partiellement les romans, qui ne racontent pas tout à fait la même histoire et qui ont bien plus de fils narratifs et de personnages. L’auteur est néanmoins associé étroitement à l’écriture de la série, qui est dans les grandes lignes fidèle à son œuvre, sans faire de contre-sens notable jusqu’à présent. Ultimement, les livres de GRRM restent le « canon » officiel. J’ai surtout utilisé ce site, la garde de nuit pour vérifier et compléter mes informations.
Note 2 : Les Arya, les nobles pères mentionnés dans les Vedas, ont servi de base à un grand nombre d’interprétations politisées et de théories racialistes aux XIX ème et XX ème siècles qui postulaient que les aryens étaient un peuple supérieur blond aux yeux clairs, alors qu’ils étaient plus probablement semblables aux actuels Iraniens ou Indiens du nord de l’Inde. Quoi qu’il en soit, les Targayens sont bien blonds ou blancs aux yeux bleus ou violets dans le monde de Westeros, et souffrent parfois de démence et de consanguinité. Je pense que l’auteur entends le terme comme synonyme d’ancienne et de haute noblesse.
