Comment faire passer un message du présent à un futur lointain de 10 000 ans? Et surtout être sur qu’il soit bien compris par des humains dont on ignore tout puisqu’ils n’existent pas encore. C’est la question que ce sont posés les autorités en charge de la protection nucléaire de certains sites de stockage de déchets radioactifs. Des chercheurs ont proposé une réponse originale, mais pas du tout absurde: en créant un mythe.

Note: La plupart des liens proposés sont en anglais, ils n’ont pas de version française.

Pour son livre Homo disparitus, Alan Wiesman a fait des recherches approfondies sur le temps long de l’humanité, l’éventualité de la disparition de celle-ci, et les traces qu’elle laisserait à long terme. La radioactivité est une de ces traces.

Dans le chapitre XV, il évoque le sujet des autorités américaines qui ont réfléchit à comment prévenir du danger invisible de la radioactivité les populations locales autour d’un site d’enfouissement définitif dans 10000 ans, le mont Yuka dans l’état du Nevada.

A cette époque lointaine, et même si il y a encore des humains, toutes les langues que nous connaissons auront disparues, de même que les pays, les cultures, les villes. Ou plutôt que de disparaître, elles auront tellement évoluées d’une façon imprévisible qu’elles seront devenues méconnaissables. Les langues durent de 500 à 600 ans environ, et les français d’aujourd’hui comprennent difficilement la langue de Rabelais, plus vraiment celle de Chrétien de Troyes, et le latin est une langue morte qui n’est plus comprise que par une petite partie de la population.

10000 ans est donc une perspective trop lointaine pour présumer des langues qui seront parlées à cette époque et des cultures qui s’y épanouiront. Une proposition retenue fut d’enterrer près des sites concernés des disques en céramique, un matériau résistant et stable à très long terme, avec des signaux de danger inscrit dessus. La question du design des dits signaux c’est posée, et c’est un nouveau champ sémiotique qui est né à cet occasion.

Néanmoins, il fut objecté que les signaux de danger pourraient ne pas être compris et que ces disques pourraient faire l’objet d’une curiosité déplacée, et plutôt que de dissuader les hommes du futur, ils pourraient les inciter à creuser pour en percer le mystère, ou simplement les collecter comme des curios. 

Une autre réponse, assez pertinente, fut celle de la pierre de rosette: écrire le message en sept langues actuelles, dont on sait qu’elles auront disparues mais dont on espère qu’il existera encore des gens capables de les lire. Le résultat est édifiant et sonne comme une incantation sinistre ou une formule de protection magique venue du fond des âges:

Cet endroit est un message… et fait partie d’un système de messages…faites-y attention !
L’envoi de ce message était important pour nous. Nous nous considérions comme une culture puissante.
Cet endroit n’est pas un lieu d’honneur… aucun acte hautement estimé n’est commémoré ici… rien de valeur n’est ici.
Ce qui est ici était dangereux et répugnant pour nous. Ce message est un avertissement de danger.
Le danger est dans un endroit particulier… il augmente vers un centre… le centre du danger est ici… d’une taille et d’une forme particulière, et au-dessous de nous.
Le danger est toujours présent, à votre époque, comme il l’était à la nôtre.
Le danger est pour le corps, et il peut tuer.
La forme du danger est une émanation d’énergie.
Le danger n’est écarté que si vous dérangez physiquement cet endroit. Cet endroit est mieux évité et laissé inhabité.

Ce message est on ne peut plus clair, mais il n’existe pas vraiment de garantie que son support physique, même gravé dans une stèle en granit de 20 tonnes et de 7 mètres de haut comme il a été prévu, ou une plaque de bronze (soit deux des matériaux les plus durables), existe encore, ou soit découvert en vertu des aléas du temps.

Si le futur est hautement imprévisible, on peut néanmoins l’imaginer, ou plutôt l’extrapoler en considérant ce que l’on sait aujourd’hui du monde tel qu’il était il y a dix mille ans; est ce que nous connaissons des messages venus d’un passé aussi ancien? Oui, ce sont les mythes.

 

Ray cat, le chat qui change de couleur.

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Illustation de Moebius.

En 1981, le département Américain de l’énergie a créé la Human Interference Task Force, afin de trouver une façon efficace de prévenir du danger à très long terme des sites de stockages radioactifs. Parmi une équipe d’ingénieurs, d’anthropologues, de physiciens nucléaires, de spécialistes du comportement scientifiques, se trouvaient les philosophes Françoise Bastide et Paolo Fabbri. les deux chercheurs ont fait une réponse originale fondée sur deux piliers:

Premièrement: créer un chat génétiquement modifié afin de changer de couleur en présence de radiations. Il va de soi qu’il ne sont pas vraiment posés la question de la faisabilité immédiate d’un tel chat aux poils magiques, mais ont supposé qu’à l’avenir ce serait possible avec les progrès de la génétique.

Deuxièmement: créer une culture populaire durable autour de ce chat, de sorte que si vôtre chat change de couleur, le message est clair: danger! vous devez partir!

Leur postulat est plein de bon sens, car l’amour des humains pour les chats ne date pas d’hier, et leur utilité non plus. Dans la haute antiquité, ils protégeaient déjà les réserves de grains des rongeurs, on connait des briques de 4000 ans d’âge de la civilisation de l’Indus avec des traces des pattes de chats. La présence de chats parmi les humains même dans un temps très lointain parait donc hautement probable.

Ainsi, implanter une légende dans la culture populaire, laquelle deviendrait sur le temps long un mythe, serait la meilleure garantie de transmission correcte et inchangée du message d’avertissement, dans sa formulation la plus réduite, qui ne serait pas déformé au point de devenir un contre-sens. Les exemples abondent en locutions qui perdent leur sens original et en trouvent un nouveau dans une autre époque (l’exemple de « qui dort dîne »), mais ce ne sont pas des mythes, qui eux fonctionnent dans l’esprit humain a un niveau symbolique et universel, moins dépendant de sa culture d’origine.

Mais tout cela est il bien sérieux?  totalement!

D’ailleurs, le groupe berlinois EmperorX en a fait une chanson folk; ne change pas de couleur, chaton!

Dans 10000 ans un chat sera toujours un chat et la notion de danger invisible, telle que la maladie, la malédiction, aussi. Et si les gens font toujours des veillées au coin du feu, chantent et se racontent des histoires, alors la légende du chat qui change de couleur vivra.

 

Le mythe contemporain de l’atome.

Comme le voyage spatial est devenu la forme contemporaine du mythe du voyage astral, la puissance destructrice de l’atome et de la radioactivité sont comparables à un fléau biblique ou de la magie noire, une puissance terrifiante et invisible, qui s’inscrit en nous selon des schémas de peur très anciens et communs à tous les hommes. Traduit en termes mythologiques les symboles de la radioactivité sont la pour dire la présence d’un mal, un démon ancien endormi à cet endroit et qu’il ne faut pas le réveiller.

Les mythes, avant l’écriture, sont des messages pleins de sens et de sagesse envoyés par nos ancêtres à travers le temps. Cette idée à été développée par le mythologiste Joseph Campbell, il l’expose en particulier dans un série d’entretiens filmés the Power of myths en 1988. Il y voit en particulier des leçons de vie nourries de l’expérience des anciens, pour préparer chaque génération, et chaque individu à accepter sa place dans le cosmos, à devenir adulte et éviter autant que possible de reproduire les erreurs du passé.

C’est ce qu’affirme Joseph Campbell, la forme mythologique est la plus à même de perdurer à travers le temps sans perdre son sens original. Comment? Le message doit s’ancrer dans les replis les plus profondes de la psyché humaine, sur des objets symboliques communs liés a l’expérience humaine dans ce qu’elle a de plus partagée, ici la peur. De cette façon, les mythes nous transmettent des messages importants et utiles, souvent moraux ou pratiques sous une forme magique ou religieuse, qui n’est pas nécessairement intentionnelle au départ, mais plutôt le résultat du passage du temps. Car à mesure que le temps passe, le passé devient de plus en plus étrange, irréel et inconcevable a nos yeux rivés sur le présent. Ainsi, les mythes, comme les religions, ont besoin que leurs messages soient actualisés, reformulés, pour perdurer.

La cinéma et la littérature, mais aussi la culture populaire font ce travail de reformulation perpétuelle des mythes et des grands récits. Bref, tout est en place, Il ne reste plus qu’a ne pas oublier de créer des chats génétiquement modifiés pour réagir à la radioactivité!