Le cycle de la Culture de l’écrivain écossais Iain M. Banks va etre adaptée en série par Amazon studios. Ces romans de science-fiction développent sur plusieurs milliers d’années l’histoire d’une civilisation galactique, si puissante, si vaste et avancée qu’elle défie l’imagination. Ce qui ne l’empêche pas de connaître un conflit aussi archaïque qu’une guerre de religion. C’est le sujet du premier livre adapté Une forme de guerre, sous son titre original Consider Phlebas.
Ce cycle de romans, débuté en 1987 et assez méconnu hors des lecteurs de science-fiction, n’a pas la notoriété de Dune ou de Fondation, bien qu’il se rattache aussi au genre populaire du space opera. Il a néanmoins une solide base de fans qui le considère comme une des toutes meilleures œuvres de science-fiction.
Dans ce texte a few notes on the Culture (en anglais), le regretté Iain Banks (décédé en 2013) a exposé la réflexion originale qui l’a conduit à façonner sa civilisation pan-galactique. Sa vision est celle d’un futur lointain et largement optimiste : passé un certain stade de développement technologique qui permet le contrôle abouti des lois de la physique, la vie dans l’espace à bord de grands vaisseaux ou d’orbitales est devenue la norme. Les matières premières et l’énergie disponibles en abondance dans l’étendue galactique ont mis fin à la compétition, aux rivalités territoriales. La plupart des conflits n’ont plus lieu d’être, ni la propriété, ni même les lois. A partir de là, des formes de vies intelligentes, biologiques et synthétiques, issues de différentes civilisations se sont fédérées en une communauté de valeurs pour devenir la Culture, plusieurs millénaires avant le premier roman.
Ainsi, la Culture serait la forme ultime de la société utopique : anarchiste, pacifiste, bienveillante, débonnaire et hégémonique à la fois. On peut la voir comme une parente lointaine de la fédération des planètes de Star Trek, dont elle partage les idéaux progressistes. Elles ont en commun cette ambition morale d’être les « good guys » malgré leur puissance démesurée.
L’autre fait majeur qui caractérise cette civilisation aux contours flous, ce sont les mentaux : des intelligences artificielles qui sont les véritables piliers de la Culture. Les mentaux affectionnent un détachement raffiné et une ironie légère toute britannique, qui se retrouvent dans les noms qu’ils se choisissent : Franc échange de vues, En dehors des contraintes morales ordinaires, Service Couchettes ou encore Killing Time, pour un vaisseau militaire adepte du double-sens délicat (en anglais faute de bonne traduction). Chaque grand vaisseau (ils font plusieurs kilomètres de long) est dirigé par un ou plusieurs mentaux qui possèdent chacun l’ensemble des connaissances scientifiques de tous, et abrite des milliers ou des millions d’êtres vivants.
Si Lire ces romans est déjà un défi à l’imagination, tant les échelles d’espace et de temps mises en scène sont vertigineuses, alors la transposer à l’écran est un véritable défi tant les histoires qui s’y déroulent repoussent les limites de nos conceptions actuelles.
le Nouveau space opera?
Consider Phlébas va dépayser les amateurs de space-opera, habitués a un genre qui ronronne depuis longtemps, si ce n’est avec The Expanse qui apporte un peu de fraîcheur Hard SF. Une des raisons de la popularité de ce genre, c’est la facilité pour le spectateur de se projeter dans un univers dont les codes sont déjà connus à travers d’autres ; le western, le péplum, les films de pirates, les film de sabre. L’exemple typique dans Star Wars est la transposition des samouraï et des chevaliers en jedi. Ici pas de genre précis, ce serait plutôt l’espionnage et les luttes politiques à grande échelle, pas de grand héros solitaire mais une histoire chorale de personnages qui font de leur mieux dans un monde qui les dépasse façon Big Picture.
Avec la Culture, on sera très loin des batailles spatiales de Star Trek ou Star Wars , souvent lentes comme un combat de galères antiques et vont dans leur dynamisme le plus échevelé jusqu’à atteindre l’intensité d’un dogfight de la seconde guerre mondiale. La Culture ne joue pas dans la même catégorie ; ses vaisseaux frappent à des millions de kilomètres, ils peuvent se cacher dans un soleil ou encore abriter des écosystèmes océaniques dans leurs soutes.
Tout y est démesuré, jusqu’au temps. Dans Excession (un autre tome du cycle), un complot ourdi plusieurs siècles auparavant par des mentaux millénaires, va déboucher sur un combat décisif de quelques millièmes de seconde ! Tout cela va poser un sérieux problème d’adaptation pour ne pas perdre le public en route.
« Toute science suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »
Arthur C. Clarke
Et si le mot gigantisme n’est pas assez grand pour qualifier les œuvres de la Culture (les orbitales font des millions de kilomètres), les humains eux, ou du moins ce qu’ils sont devenus, sont devenus bien peu de chose. Tout ce qui les entoure est a la fois plus grand, plus rapide, plus ancien et plus performant qu’eux.
Pourtant ils sont des millions de milliards, heureux, oisifs, en pleine santé et occupés à jouir d’une vie de plusieurs siècles, prolongeable indéfiniment si l’envie leur en prend. Laquelle ne présente pas le moindre risque de pauvreté, d’injustice ni de danger. La seule chose mortelle doit être l’ennui d’une vie sans véritable adversité.
Les mentaux accordent parfois un peu d’importance à certains humains dont ils apprécient les intuitions, et dont l’auteur a surtout besoin pour raconter une histoire qui propose des possibilités d’identification au public moins abstraites que celles des machines pensantes.
Nugget and Gizmo
L’humain, ou plus largement la vie biologique consciente est dépassée à tous points de vue par les mentaux. Un mental qui pose une question à un humain reçoit, dans son équivalent temporel relatif, une réponse longue d’une semaine au bout de plusieurs mois ! Il a eu le temps d’envisager des centaines d’hypothèses rien que pour s’amuser, de lancer des simulations pour les vérifier, de consulter des bases de données immenses, de lire le langage corporel de l’humain et d’anticiper de façon quasi certaine sa réponse mais aussi toute la suite de la conversation, tout en ayant des millions d’autres activités bien plus complexes.
Pour proposer une équivalence du point de vue des mentaux vis à vis des humains, l’auteur a suggéré que ceux-ci verraient les humains comme nous voyons nos animaux de compagnie : ils sont marrants, attachants, étranges, fragiles, familiers. Si on ne les désigne pas comme des esclaves, nous nous considérons néanmoins comme leurs maîtres et responsables de leur bien-être.
Imaginez donc ces omniscientes, bienveillantes et légèrement condescendantes entités logiques, qui pensent des milliards de fois plus vite que nous, et malgré les noms complexes des culturiens, elles pensent à eux comme des équivalents affectueux de Nugget ou Gizmo, leurs mignons petits cochons d’Inde. Les humains sont désormais des reliques biologiques, dans une société qui n’a plus besoin d’eux pour fonctionner, il y a bien longtemps qu’ils ont lâché les commandes.
Autant pour le spécisme. Si le futur nous voit domestiqués par des IA, mais est-ce que cela n’a déjà pas commencé ? Et le public de simples humains risque de se sentir un tantinet dépassé par cette remise en place radicale.
Idirans
La Culture observe une politique de non-contact envers les civilisations non étendues dans l’espace selon l’hypothèse du zoo du Paradoxe de Fermi, ou celle de l’apartheid cosmique (juste en dessous du zoo).
Pour les relations avec les autres civilisations qui sont nombreuses dans cette galaxie grouillante de vie, la section Contact sert de représentation diplomatique officielle. La section Circonstances spéciales, euphémisme pour désigner les services secrets, est celle qui prend en charge l’espionnage et les actions clandestines. Puisqu’il ne se passe pas grand chose à l’intérieur de la Culture, c’est aux marges que se trouve l’action.
Une race de guerriers fanatiques, les idirans, constitue le premier obstacle sérieux que rencontre la Culture dans sa longue histoire. Ce sont des prédateurs issus d’un environnement planétaire extrêmement hostile qui a produit une sélection naturelle sans égale dans la galaxie. Ils sont extraordinairement déterminés, forts, disciplinés, résistants, intelligents et quasiment immortels. Pour ne rien arranger, ils ont développé une religion de domination qui fait d’eux le sommet de l’évolution biologique dans la galaxie, ce qu’ils entendent prouver en abattant la Culture.
Les idirans méprisent la Culture. Elle représente tout ce qu’ils ne sont pas : le mélange impur d’espèces et d’êtres synthétiques, le confort hédoniste et individualiste, l’abondance, l’oisiveté. Leur idéal religieux, viriliste et fascisant, valorise le sacrifice, l’ordre et la hiérarchie. Elle représente surtout une menace existentielle pour leur civilisation martiale, car elle est la preuve vivante qu’une civilisation peut être à la fois puissante, prospère, tolérante et dépourvue d’agressivité envers ses voisins (même si la Culture est moins propre qu’elle veut bien l’admettre). Pour les idirans, ne rien faire reviendrait à terme à être absorbés par le soft power irrésistible de la Culture. Finir domestiqués par des machines pensantes, serait pour eux la pire humiliation possible.
De son coté, la Culture était si sûre que personne n’oserait l’attaquer qu’elle n’avait jusqu’alors pas envisagé sérieusement de se doter de vaisseaux conçus pour le combat. C’est avec la désagréable impression d’avoir fait une sérieuse erreur de jugement qu’elle a découvert qu’une civilisation presque aussi avancée qu’elle lui impose une guerre totale pour la suprématie galactique. Pire, les premiers combats tournent à son désavantage. La trame principale de Consider Phlébas qui se déroule en plein milieu de cette guerre, est la traque par Circonstance Spéciales d’un agent secret travaillant pour les idirans à la recherche d’un mental en fuite.
Une adaptation impossible?
Avec Consider Phlebas, et la reprise de The Expanse, Amazon apporte de l’air frais aux séries de science-fiction. Tout à sa concurrence avec les autres réseaux HBO, Netflix et Disney, et alors que Apple va adapter Fondation d’Isaac Asimov, la compagnie hégémonique de Jeff Bezos propose des adaptations comme Le Maître du haut château, d’après le roman de Philip K. Dick, et prochainement une série tirée de l’oeuvre de Tolkien, sorte d’adaptation libre du second âge du Silmarion.
Ces séries « de niche », qui étaient trop chères à produire pour cause d’audience restreinte à la télévision, trouvent avec internet une audience mondiale qui les rend viable.
Ainsi, cette adaptation est un choix audacieux pour une série de science-fiction. Ce n’est pas une épopée mystique et initiatique comme Dune, ou un grand classique comme Fondation. Elle est moins facile d’accès de par son absence de figure héroïque centrale. En effet l’agent idiran Horza est un anti-héros métamorphe qui change d’apparence. Et la projection dans un monde fictionnel aussi avancé technologiquement brouille notre capacité à nous représenter une vision cohérente et donne le vertige. Comment les auteurs vont-ils poser la caméra à une hauteur humaine sans dénaturer ce qui rend le cycle de la Culture si unique ?
Dans cette profusion de licences mondialement connues, il ne va peut-être plus rester beaucoup de place pour une série trop originale et certainement coûteuse en effets spéciaux. Le cycle de la Culture pourrait bien faire les frais d’un arbitrage budgétaire défavorable si la grande machine à série d’Hollywood vient à se gripper.
Notes:
a few notes on the Culture a été traduit en français en annexe de la première édition de Trames chez Robert Laffont, »ailleurs & demain ».